CHEMIN FAISANT
Une série proposée par Micheline et Stéphan Sarnowski
Nous avons rencontré Josée Bauwens, « la Boulangère » du village, qui tenait commerce au 10 rue des Marronniers de Corroy. Fille de Joseph Burteau et de Joséphine Ponlot.
Josée est née en 1929, aînée de six enfants, très proches en âge, ils se suivaient de +/- 14 mois. La famille vivait rue du Strau, petite rue en arc de cercle, inscrite dans la rue des Brunettes, une grande maison en briques et en pierres bleues.
Les grands-parents n’habitaient pas très loin, rue des Bruynettes, juste à coté de notre Marie Doudouye. Mais avant de parler de la boulangerie, Josée a voulu nous retracer son parcours pendant la guerre 40-45.
En 1940 le village est contrôlé par les Français, ils poussent la famille à quitter le village pour fuir les Allemands qui ne sont plus très loin. Les premiers Allemands sont tellement proches qu’on les retrouvent déjà embusqués derrière les haies qui entourent, en ce temps-là, les Brunettes. Joseph, mineur dans la région de Charleroi, était déjà parti avec son régiment, les Chasseurs Ardennais. Mais très vite ce fut la débâcle. Joseph ira en vélo, avec un ami, jusqu’à Rouen. Là, il apprend par le curé de Corroy, le curé Soeur, que sa famille est à Cahors, qu’elle se porte bien et rentrera prochainement. Joseph regagna Corroy dans l’espoir de les accueillir très vite.
De nombreuses familles ont eu des nouvelles des leurs par le curé Sœur, il rassura bien des familles.
Le mardi, suivant l’invasion allemande de Corroy, Josée se souvient précisément du jour, elle a 11 ans, monte sur une charrette prêtée par les fermiers Thielens.
Elles sont 17 personnes à y prendre place. Parmi elles, Josée, sa maman et ses frères et sœurs (la plus jeune a 4 ans). La charrette est menée par quatre chevaux et deux hommes, qui se disputeront sans cesse.
Elle est chargée de jambons et autres denrées, de couvertures. Et en route pour… 17 jours d’une folle équipée, 17 jours en charrette, à la merci des bombardements, dormant dans des étables, se nourrissant à la débrouille, de la charité des habitants des villes traversées. Josée souligne l’accueil très amical des Français. Et ce jusqu’à Sablé on quitte la charrette, d’ailleurs les conducteurs s’étaient séparés entretemps, n’arrivant pas à se mettre d’accord sur leur destination. Là, on passe, un agréable moment auprès d’une famille française puis on attend le train, on l’attend pendant 3 jours…
Les enfants passent le temps, ont des copains, font de la barque… Oui, mais voilà que le train arrive de façon inattendue et il manque 2 frères qui s’ébrouaient dans une proche rivière. Panique, mais le train attend les chenapans et tout le monde embarque !! Ouf.
Et les voilà repartis. Ils vont faire la route des pigeons (les colombophiles connaissent), comme ceux de papa: Orléans, Tours, Bordeaux, Cahors. Les gares sont bondées, les centres d’accueils et la Croix Rouge sont submergés.
Sur les quais, les gens apportent du pâté dont l’odeur reste gravée dans la mémoire de Josée. Enfin ils arrivent, toujours en famille, chez une dame à Caillac, à 14 km de Cahors. Le mari, un comte, est parti à la guerre (il n’en reviendra pas). Les voilà donc ensemble dans le Lot.
Les enfants jouent ou se font couper les cheveux par des Algériens, ils y sont cantonnés et nombreux à Cahors. Cette vie dura trois mois, puis retour vers la Belgique via des wagons à bestiaux, oui, vous lisez bien.
Joseph les attendait, il avait retrouvé sa maison pillée, comme bien d’autres maisons de Corroy, mais les pilleurs n’étaient pas toujours ceux que l’on croit. Il retrouve donc sa famille et retourne travailler à la mine.
Parions un peu de Joséphine, la maman de Josée, qui travaille au château, elle essaye que ses enfants prennent du bon temps malgré tout. Mais sa sapté s’est dégradée et l’exode n’a fait qu’aggraver son état: un fibrome des plus virulents. Elle trouva la force de ramener ses enfants à Corroy, sans que ceux-ci se doutent de quoi que ce soit. Quelques mois encore. Josée a compris, les autres enfants toujours pas. Josée, lalinée prendra los rennes de la famille pendant l’absence du père, au travaii. Joséphine sera hospitalisée à la « clinique Astrid° (l’actuelle Académie de musique de Gembloux).
Et vola Joseph veuf, bien jeune et père de 5 enfants.
Ceux-ci resteront dans la maison familiale, sous la surveillance des grands-parents et de la tante Albertine (soeur de Joseph Burteau) qui épousa un Malcourant, et maman de l’instituteur du village, Monsieur Malcourant.
Oui, mais et les cougnous ? Patience.
Josée n’a encore que 11 ans et va à récole, chez madamo Defoin (qui venait à vélo de Grand-Leez). A l’école, puis chez Madame Van Coppenole à la rue Maison d’Orbais. Les filles Bauwens à l’école dans le village et les garçons à Gembloux, à Saint-Guibert.
Mais, très vite, Josée doit aider sa grand-mère, colle ci lui apprend à faire quantité de choses et notamment la pâte à pain. On est toujours en guerre, les gens préparent leur pâte et vont la faire cuire chez Jules Bauwens qui a un penchant pour la fabrication du pain et s’y essaye progressivement.
Comme aime à le dire Josée: sans la guerre, je ne serais pas devenue boulangère.
Jules Bauwens, veuf d’un premier mariage est le papa de Rosalie (épouse d’un vétérinaire) et Louis qui travaille avec son père. Au départ les parents travaillaient tous deux au château de Corroy, ellE aux cuisines et lui comme serveur.
Jules se remarie et aura encore trois enfants. Cela fait du monde à nourrir | Les époux Bauwens possèdent aussi une petite porcherie, avec quelques bêtes à « Vieille Maison » un lieu dit de Sombreffe.
Josée va donc régulièrement faire cuire son pain, et s’étonne quelque peu de voir Louis lui prêter ses plus belles platines, lui faire des sourires en coin …. Bref les amies de Josée comprennent avant elle.
Josée n’étant pas insensible au charme de Louis, les voila ensemble, en tout bien, tout honneur. Mais nos tourtereaux se heurtent au non catégorique de la grande sœur Rosalie. Mais rien n’y fera, Louis a choisi sa belle.
Rosalie se rattrapera, en s’occupant plus tard, de leurs deux enfants. Josée et Louis passant un temps fou dans leur boulangerie.
En 1952, après leur mariage, Louis et Josée fixeront leurs pénates dans la boulangerie Bauwens, qui fut avant cela une cordonnerie répute. Ils y travaillent mais rentrent encore dormir à Sombreffe, pour s’assurer un peu d’intimité. Léon notre bien aimé kiné de la rue des Marronniers, nait 2 ans après le mariage, et Bernadette suivra quatre ans plus tard.
Et Josée apprend le métier de boulangère, a rouler la pâte, à deux mains! à peser, enfourner et préparer les commandes, peu à peu Jules (le papa de Louis) prend du recul, et c’est lui qui va dormir à Sombreffe…
Louis et Josée vont peu à peu transformer la boulangerie en un commerce florissant. Moderniser, produire, livrer plus, a la force de leurs bras, suivez plutôt une journée type…
Faire la pâte (pour deux cents pains quotidiens), les peser, les passer à la rouleuse, à la peseuse et terminer par l’armoire de fermentation (certains se souviendront sûrement de ces passets de tulle, fixés sur le mur, et qui se retournaient les uns dans les autres pour mieux lever la pâte).
Toutes ces machines les aidaient beaucoup, mais le plus merveilleux fut la mise au grenier de deux silos de 5000 kilos de farine, farine qui « coulait* directement dans le pétrin. Ces silos prenaient de la place mais facilitaient grandement le travail de nos 2 boulangers. Avant cette transformation, Il fallait porter des sacs de 100 kilos sur le dos
Évidemment, ça peut entrainer l’un ou l’autre problème. Josée nous parle d’un silo mal fermé et de la farine qui a envahi la boulangerie jusqu’à la porte.
Une montagne de farine. Quel boulot pour tout remettre en l’état, mais aussi quel souvenir
Le four est modernisé. Il est alimenté au gaz et fournit en prime de l’eau chaude. Une telle Installation était d’avant garde. Louis mettait la fournée, puis partait faire ses livraisons. Josée et ses aides (des ados qui voulaient se faire un peu d’argent de poche). se dépêchaient de défourner et, quand Louis reviendra de sa tournée, il y aura un autre enfournement. Josée nous fait remarquer que tous ces aidants étaient couverts » en cas d’accident.
On ferme le dimanche, mais il y a des pistolets le samedi, et d’autres nouvelles gourmandises comme le cramique, les gosettes, les sandwiches et les fameux cougnous, et tout cela pouvait être livré I
Louis livrait aux particuliers, à certains dépôts. La camionnette livrait à Tongrinne, Sombreffe, Bothey et Gembloux.
Le débit de la boulangerie est telle que Josée et Louis deviennent des franchisés des usines de farine Romy.
Mais qui est-ce qui explique ce succès, en voici l’explication en quelques lignes.
Chez les Bauwens, tout est frais, les œufs proviennent de la ferme Van Eyck. Il y a du choix : du pain gris, de seigle, de froment… la cuisson est a façon : tendre, cuit, bien cuit. Mais toujours de la boulangerie, pas de pâtisseries. Pâtissier, c’est un autre métier.
Mais revenons à nos cougnous, la boulangerie en produisait des centaines. Josée nous raconte: en 1958, pour l’exposition universelle de Bruxelles, la boulangerie Dumont de Namur fit appel à Louis, dont la réputation était parvenue jusque là. Dumont fit venir 2 apprentis et pendant 2 nuits, Ils produisirent des centaines de cougnous pour répondre à la demande de l’expo. Les fours de Louis étaient réputés pour leur fiabilité et Dumont le savait.
Josée ouvrait parfois sa boulangerie dés 4-5 heures du matin pour satisfaire des clients. Ou mieux pour accueillir des gendarmes qui terminaient leur nuit à la boulangerie autour d’un café dans la cuisine de Josée.
Les enfants étaient pensionnaires, les horaires de la boulangerie y contraignirent leurs parents. Le couple allait dormir vers 21 heures et Louis enfournait à 2 heures. Mais Louis est fatigué, et cela se comprend, voilà 38 ans qu’il est sur la brèche. Tous les jours et toutes les nuits, sauf le dimanche.
Il loue son commerce à Noël (le dernier boulanger que nombre d’entre nous ont bien connu) et son épouse. C’était en 1983.
Fatigué, Louis meurt d’un infarctus à 62 ans. Il abandonna ainsi sa moitié qui conclut : j’ai eu une belle vie, j’ai été heureuse en ménage, j’ai eu un beau métier.
Josée n’est pas nostalgique, c’est une femme vive, souriante, heureuse de partager sa vie avec une famille qu’elle adore et qui l’adore. Elle est fière d’être arrière grand-mère, elle revenait d’ailleurs d’un baptême quand nous l’avons rencontrée. Et certains vous diront qu’elle est une incorrigible bavarde, mais chez elle ce n’est pas un défaut.
Merci à Micheline et Stéphane pour cet interview de Josée.